La construction de l'Europe

CHAPITRE 1?>Le poids de l'histoire?>L'EUROPE D'AUJOURD'HUI PORTE toujours le poids d'une histoire longue et tourmentée dont on ne peut faire abstraction pour comprendre les difficultés qu'elle éprouve actuellement à s'organiser. À certaines époques du passé, l'Europe a été relativement plus homogène qu'aujourd'hui sur les plans spirituel, culturel, économique et même politique. Mais l'évolution historique depuis dix siècles s'est faite surtout dans le sens du morcellement, de la diversification croissante des langues, des religions, des cultures, des structures politiques et économiques. De grands États se sont progressivement formés et fortifiés, en compétition et en rivalité constantes. L'idée d'organiser pacifiquement cette Europe des États est apparue à maintes reprises, mais n'a jamais été prise en considération par les détenteurs du pouvoir, qui n'ont choisi qu'entre deux politiques : la domination ou l'équilibre.La Chrétienté médiévale?>C'est au Moyen Âge que se définit et apparaît la personnalité de l'Europe, sous la forme de la Chrétienté.Pendant l'Antiquité, le cadre géographique, ce n'était pas l'Europe, mais le Bassin méditerranéen, civilisé par les Grecs et par les Romains. L'Europe elle-même appartenait, pour une large part, à ce que ceux-ci appelaient « le monde barbare », c'est-à-dire le monde extérieur. Et elle était partagée, en son centre, par le rempart qui s'étendait le long du Rhin et du Danube, le limes que défendaient les soldats de l'Empire contre les Barbares. Il n'y a donc pas eu, pendant la longue période de l'Antiquité, de coïncidence entre l'unité culturelle et politique, qui s'est formée progressivement, et le cadre géographique de l'Europe. Cette coïncidence va se réaliser avec plusieurs événements importants du haut Moyen Âge : d'une part, les invasions barbares qui ont provoqué l'effondrement de l'empire d'Occident en 476, l'implantation d'éléments germaniques et la création de royaumes barbares ; d'autre part, l'isolement progressif de l'Occident d'avec l'empire d'Orient qui, lui, subsistait. La coupure entre l'Est et l'Ouest, qui s'esquissait déjà à la fin du IVe siècle, a été précipitée par les invasions barbares. Désormais, l'Occident de l'Europe et l'Orient de l'Europe vont évoluer différemment. Enfin, l'invasion musulmane des VIIe et VIIIe siècles va submerger l'Afrique du Nord, même la péninsule Ibérique pendant quelques siècles, et entraîner une coupure durable entre le nord et le sud de la Méditerranée.L'Europe occidentale chrétienne va se délimiter ainsi, en se différenciant de Byzance d'une part, du monde musulman d'autre part. Elle va prendre forme, sur le plan politique, pendant quelque temps, avec l'empire de Charlemagne qui comprenait la Gaule, une partie de la Germanie, l'Italie du Nord et du Centre, débordait légèrement sur l'Espagne au sud des Pyrénées, et sur quelques régions d'Europe centrale comme la Bavière et la Carinthie. Il lui manquait l'Angleterre, la majeure partie de l'Espagne, le sud de l'Italie. Il laissait de côté tout le monde slave. Sa limite orientale s'arrêtait à l'Elbe, au centre de l'Europe, comme le « rideau de fer » de la guerre froide. La configuration de l'Europe des Six ressemblait beaucoup à celle de l'Empire carolingien. L'unité de l'Empire de Charlemagne était réelle. Elle était due d'abord à l'action personnelle du souverain qui gouvernait en se déplaçant le plus possible pour faire obéir ses sujets, à l'identité d'administration dans les différentes parties de l'Empire, à l'unité de religion chrétienne, symbolisée par la dualité des deux pouvoirs de l'Empereur et du pape, et aussi à une prise de conscience vis-à-vis de l'extérieur. Charlemagne a passé son temps à lutter contre les Musulmans et les Saxons païens pour défendre et étendre son Empire. Ainsi, pendant quelque temps, a été constitué, dans un cadre qui était déjà celui du continent européen de l'Ouest, un empire où régnait l'ordre, la paix intérieure et une relative sécurité vis-à-vis de l'extérieur.