Les leçons du mal

Thomas H. Cook

Seuil

  • Conseillé par
    4 juillet 2011

    Les leçons du Mal de Thomas H. Cook

    Je viens de terminer Les leçons du Mal de Thomas H.Cook, le premier livre que je lis de cet auteur et j'avoue que c'est une agréable surprise. Les leçons du Mal est classé dans le genre policier aux éditions du Seuil. Mais même si un meurtre a eu lieu dans le passé et a toujours des retentissements dans le présent, je dirai plutôt qu'il s'agit d'un roman psychologique et social, très intéressant, qui explore les zones sombres de la conscience et révèle en chaque être les motivations intérieures soigneusement cachées, parfois même à l'intéressé lui-même. Ainsi Nora, l'amie de Jack Branch, lui déclare : "Tu n'es pas celui que tu imaginais être" et il découvrira combien elle a raison. En cela le livre mérite bien son titre!

    L'action du roman a lieu dans la petite ville de Lakeland, Mississipi, état encore bien marqué, près d'un siècle plus tard, par la guerre de Sécession. Nous sommes en 1954. Jack Branch est le fils d'une grande famille de planteurs. Il a reçu la bonne éducation d'un riche fils du Sud, a vécu dans une maison, Great Oaks, qui n'a rien à envier à celle de Scarlett O'Hara. Il est en admiration devant son père, parfait gentleman du Sud, un érudit aux manières raffinées, à qui il s'efforce de plaire. C'est peut-être pour cela qu'il choisit, comme lui, de devenir professeur au lycée de Lakeland fréquenté par des élèves modestes. Le cours thématique qu'il donne sur le Mal doit amener, pense-t-il, ces jeunes gens défavorisés à se définir par rapport à cette notion et à se sentir revaloriser. Jack Branch va s'intéresser particulièrement à un de ses élèves, Eddie Miller, rejeté par les autres parce que son père est le meurtrier d'une jeune étudiante, fait divers particulièrement atroce survenu il y a une douzaine d'années qui hante la mémoire collective de la petite ville. Quand le professeur donne à ses élèves un sujet sur le Mal, il conseille à Eddie d'écrire sur son père pour illustrer le devoir. Il pense ainsi lui permettre de surmonter son traumatisme et peut-être d'obtenir une réponse la question angoissante de l'hérédité du Mal. Pourtant tout ne va pas se passer comme il l'avait prévu!

    Le roman, et c'est là un de ses grands centres d'intérêt, a le mérite de dénoncer le racisme, la misère, l'inégalité sociale, l'injustice qui règnent dans une société qui a peu évolué depuis la guerre de Sécession. Les grandes familles sont toujours accrochées à leurs privilèges avec le regret de ce qui a été. Quant à la ville, elle est divisée en zones. A côté du splendide secteur des plantations, s'étend un quartier plus modeste de commerçants et d'artisans, puis un autre plus pauvre habité par les ouvriers et enfin la "région damné des Nègres", l'extrémité de la ville, connue sous le nom de Ponts, sordide et misérable. Certains des élèves de Jack portent en eux les stigmates de l'échec, persuadés de n'avoir aucune chance de s'en sortir dans cette société. En particulier Dirk Littlefield qui manifeste envers son professeur et Eddie une hostilité croissante surtout quand sa petite amie, Sheila, le quitte pour Eddie.

    Les personnages sont complexes. Jack Branch est un être brillant qui a une haute opinion de lui-même non seulement en tant que professeur mais en tant qu'être humain. Il est vrai qu'il embrasse par idéalisme une carrière bien modeste pour quelqu'un qui pouvait prétendre à un avenir brillant. Il exerce ce métier avec passion et enseigne à ces enfants pour : "rendre service à ceux-là mêmes que ma famille, de connivence avec quelques autres tout aussi bien nées, avait maintenu sous une longue domination, ce qui leur avait permis de prospérer avant et après la guerre de Sécession." Mais est-ce entièrement par altruisme qu'il se préoccupe du sort d'Eddie, n'agit-il pas aussi un peu par orgueil, mu par une sorte de complexe de Pygmalion? Ses sentiments vont se révéler parfois bien ambigus : dépit, jalousie envers Eddie quand il le voit se rapprocher de son père. Et Eddie, quel jeu joue-t-il en s'insinuant dans les bonnes grâces du vieux monsieur de Great Oaks? Aucun des personnages n'est entièrement du côté du Bien et du Mal mais chacun se situe dans une zone intermédiaire. Même Dirk, antipathique et violent, est aussi une victime de cette société qui broie les individus et lorsqu'il crie sa haine des riches, il a de bonnes raisons de le faire! Nora, pourtant, la jeune femme qu'aime Jack, une fille du Ponts devenu professeur, échappe à cette ambiguïté par sa droiture, son franc parler, et l'amour qu'elle porte à son frère handicapé mental.

    Thomas Cook manifeste une grande habileté dans la construction du roman. Le narrateur est Jack, âgé, faisant un retour vers le passé. Mais la chronologie n'est pas respectée. Le vieux Jack présente des faits qui se chevauchent dans le temps. Toutes les époques se mélangent et forment comme les petites pièces d'un puzzle que le lecteur ne peut comprendre mais qui formera bientôt un tout. Ainsi le lecteur est tenu en haleine jusqu'au dernier moment, le narrateur apparaissant comme un démiurge qui détient toutes les clefs, ayant la connaissance du passé, du présent et du futur des personnages. Le récit se referme sur la note nostalgique de toutes ces vies brisées.

    Un roman passionnant.


  • Un livre que j'ai beaucoup aimé !

    Ce livre est vraiment une très agréable surprise. Le début reste tout de même un peu surprenant, voire un peu confus. Et pour cause, sans aucune indication on passe du présent - où l’action se déroule - au futur - où l’on retrouve le personnage principal, Jack, vieilli de plusieurs années. Cela donne donc un mystérieux mélange qui finalement fait le charme du roman. Par ce procédé, l’auteur distille des indices sur le dénouement de l’histoire, ce qui a piqué ma curiosité et ce qui entretient bien entendu le suspens. Un suspens très présent et qui tient le lecteur en haleine. Si au début l’histoire n’est pas forcément claire ou évidente, plus on avance, plus le final devient limpide et plus la tension monte.

    Tout le roman est donc travaillé et on voit que des efforts ont été faits, le style de l’auteur est agréable à lire. C’est pourquoi la fin m’a un peu déçue. Je l’ai trouvée beaucoup trop rapide par rapport au reste du livre. Tout se passe trop vite et donne l’impression que la fin est bâclée. Il est difficile de suivre l’action, j’ai même dû relire certains passages pour comprendre ce qu’il se passait. Un peu déçue par cet aspect mais je ne suis pas désappointée par la fin en elle-même, au contraire, j’ai même beaucoup aimé la petite chute finale, bien qu’un peu triste.

    Ce livre est vraiment très intéressant. Il aborde un sujet inédit pour moi, en montrant la progression du mal dans l’esprit d’un jeune homme qui n’y était absolument pas destiné. En effet, Jack est ce que l’on appelle un jeune homme de bonne famille – personnage que j’ai beaucoup apprécié. C’est aussi est un professeur qui donne des cours sur le Mal sous toutes ses formes tout au long de l’Histoire de l’humanité. Cependant sa suffisance va lui jouer de mauvais tours. Lui, qui pourtant devrait en connaitre assez long sur le sujet, par des actes d’apparence anodine, va contribuer à un très grand drame et se retrouver dans une sordide affaire, poussé en cela par la jalousie qui se répand dans ses veines.

    Au final, voilà un livre qui m’a vraiment agréablement surprise. Je ne pensais vraiment pas autant accrocher et pourtant je n’ai pas pu lâcher le livre avant de l’avoir fini. Il n’y a que le petit problème de la fin qui me déçoit un peu mais qui ne doit pas vous empêcher de tenter l’expérience !


  • Conseillé par
    24 avril 2011

    Roman de Thomas H. Cook.

    "Parfois, mes nuits prennent des airs d'une assemblée de fantômes. Je m'assois dans la pièce de devant et me distrait de mes visions persistantes de Nora, Sheila, de Wendell, et, bien entendu, d'Eddie, en rédigeant de nouveaux cours pour mon ancien cycle thématique sur le mal." (p. 344) Jack Branch, héritier d'une famille de l'ancienne aristocratie du Sud américain, revient sur ses premières années d'enseignant au lycée de Lakeland.

    En 1954, il avait 24 ans et il donnait un cours thématique sur le Mal, s'appuyant sur des exemples aussi divers que le naufrage de la Méduse, les exactions de Tibère ou les persécutions faites aux Juifs pendant le Moyen Âge. Jeune professeur dynamique et plein d'illusions, il se croyait investi du pouvoir de changer la vie de ses élèves. "Mon véritable objectif était de sensibiliser mes élèves à des actes plus monstrueux que ceux qu'ils seraient susceptibles de commettre, ce qui, en retour, devait les aider à gravir un barreau supplémentaire de l'échelle de leur amour-propre qui était perpétuellement en équilibre précaire." (p. 21) Jack se prit d'intérêt pour le jeune Eddie Miller, fils du Tueur de l'étudiante. En aidant l'adolescent à rédiger un devoir sur son père, Jack ouvrit la porte à des démons qu'il ne pouvait contrôler.

    Élevé dans une famille riche et jouissant de privilèges qu'il considérait comme étant mal acquis, Jack Branch souffre d'un sentiment de culpabilité devant le peu de chances auxquelles les gamins qu'il croise au lycée peuvent prétendre. Dans un Sud encore marqué par la guerre de Sécession et dans une petite ville qui juge la qualité de ses populations en fonction de leur quartier d'origine, Jack Branch veut jouer les bons samaritains. "Si je recherchais un jeune paria dont je pourrais changer le cours de l'existence ?" (p. 67) La réponse est oui. Entre condescendance et profond désir d'apporter son aide, Jack s'enlise. Sa relation avec Nora Ellis est porteuse d'espoir. Fille issue du quartier des Ponts, loin de la splendeur des Plantations, elle incarne le renouveau dont la famille Branch a besoin.

    Le père de Jack, Jefferson Branch,souffre du mal des "grands fonds". Dépressif et reclus après "l'incident", il représente l'Amérique désolée devant la défaite des idéaux sudistes. Jefferson Branchécrit une énième biographie d'Abraham Lincoln, homme aux nerfs fragiles tout comme lui. Confusément, Jack sait qu'une barrière le séparera toujours de son père, qu'il ne sera jamais atteint des "grands fonds" familiaux. C'est là un des points clés du roman : il s'agit de déterminer si le mal et les travers pernicieux sont héréditaires, si une fatalité familiale règle sur les êtres.

    La construction de la scène de la révélation est magistrale. La narration de cet épisode final procède à un va-et-vient hypnotique entre la sérénité figée et poussiéreuse de Great Oakes, la demeure des Branch, et l'haletante réalisation du drame en cours. Les parallèles effectués entre un repas qui refroidit et une vie qui approche de son terme, entre une soirée qui s'éternise et l'imminence de la catastrophe, placent le lecteur au coeur d'un maelström malsain qui n'est que l'illustration du destin aveugle et inepte.

    Les leçons du mal n'est pas un roman policier stricto sensu. Le récit n'est pas celui d'une enquête, mais d'un témoignage aux accents d'aveux. Le shérif Drummond n'est qu'un personnage secondaire et à peine un acteur. Le long développement de sa description et l'accent mis sur sa personnalité ne sont que des leurres. Le texte est le récit d'un cheminement vers le crime, récit qui dévoile des tenants et des aboutissants, des complicités et des instants fatidiques. Comme dans le cours qu'il enseignait, Jack Branch dévoile les mécanismes du Mal, partant du simple constat que l'enfer est pavé de bonnes intentions.

    L'auteur est habile dans le maniement du ressort dramatique et du suspens. Dès les premières pages, il donne le pressentisment d'une catastrophe et de l'imminence d'un drame. Mais le narrateur - Jack Branch - ménage ses effets et prend le temps de détailler les faits. Inconsciemment ou non, il lance le lecteur sur de fausses pistes et suggére même de fausses victimes. Le lecteur devient l'une d'elles : en compatissant pour un personnage qui est supposé souffrir ou mourir, il s'égare et manque les vrais indices. L'auteur parsème le texte de dépositions, témoignages, preuves et minutes de procès, accentuant ainsi l'impression que la vérité est toute proche, mais qu'il manque toujours une pièce pour que la machine infernale soit complète.

    Les leçons du mal a tout pour me réconcilier avec le genre policier et le polar. J'ai vraiment apprécié la construction du texte, entre lenteur et imminence, comme si un ressort pressé au maximum n'attendait qu'un effleurement pour se détendre et faire exploser la bombe. Si parfois la langue est un peu épaisse, à l'image de la touffeur du Delta, le récit reste fluide. Il m'a happée. Les quelques 350 pages défilent sans y paraître. Thomas H. Cook propose davantage qu'un bon divertissement. Sa réflexion sur le Mal, somme toute convenue et déjà exploitée, est menée selon un schéma presque pervers qui amène le lecteur à s'interroger sur ses propres attentes du roman policier : jusqu'à quel point voulons-nous du macabre ? Jusqu'où notre imagination nous conduit-elle ? Et, enfin, que demande notre côté sombre pour être repu de violence et de mal ?


  • 22 mars 2011

    Un roman très psychologique

    Une attente est savamment créée tout au long du roman par des prolepses incessantes : Jack Branch raconte les évènements qui se sont déroulés en 1957, mais il le fait à la fin de sa vie, ayant ainsi une vision d’ensemble sur son récit et sur les êtres dont il est question. Il fond ainsi les époques, instillant au fur et à mesure des informations sur le devenir des personnages, intriguant le lecteur avec cet évènement mystérieux qui changera leur destin et les mènera au procès dont des extraits sont retranscrits…

    - Les références culturelles sont érudites puisque Jack est professeur, il survole l’histoire traquant le mal à travers des personnages historiques ou fictionnels pour raconter leur histoire.

    - Le style est précis, tout comme la construction, nous prenant incidemment dans ses rets.

    Ce que j’ai moins aimé :

    - J’ai attendu avec impatience pendant le récit cet évènement violent, extraordinaire qui a changé la vie des personnages. De fait, j’ai trop attendu, et j’ai été déçue quand, enfin, la relation de cette scène évoquée à moults occasions tout au long du roman, est enfin relatée. Pour moi, le suspens est tombé à plat.

    - Le propos de l’auteur n’était évidemment pas seulement dans l’intrigue policière, il s’applique à décrire la psychologie des personnages avec tellement de minutie, que l’on peut penser que là est l’essentiel de son propos. Pourquoi dans ce cas instiller cette jalousie pernicieuse cadrant peu avec la personnalité de Jack à la fin du roman ? Je ne l’ai pas trouvée cohérente.