Le cycle de la mort

Thomás Korovínis

Belleville Éditions

  • Conseillé par
    27 janvier 2022

    Neuf narrateurs se succèdent dans ce roman pour évoquer Aristos et la situation politique, économique du pays dans les années qui ont précédé l'arrestation et le jugement du jeune homme. Un copain, une voisine de sa mère, un débardeur (déchargeur de véhicules) plus ou moins collègue d'Aristos, un voisin agent de l’État parallèle, un gendarme, un bourgeois, un de ses patrons acrobate au Cycle de la mort, Lolo un travesti et Sylva une chanteuse. Tous évoquent la difficile enfance d'Aristos, ses fréquentations douteuses, la misère qui sévissait dans les rues de Thessalonique à cette époque. C'est une période violente et dure pour la Grèce : assassinat, attentats, montée de l'extrême droite, coup d'état et bientôt dictature des colonel. L’État parallèle qui évolue avec la complicité des autorités place ses pions dans toutes les sphères de la société l'épie et la noyaute et prépare le terrain à la future dictature.

    Autant dire qu'à l'époque, les pauvres ne sont pas protégés, les enfants miséreux qui se prostituent non plus, au contraire. "Que n'ont pas vu mes yeux durant ces années de service. De l'injustice à la pelle. Envers nos plus pauvres concitoyens. Des roustes à coup de martinet. Des punitions, des torgnoles, des offenses pour trois fois rien. Envers des misérables, des mendiants, des petits voyous qui faisaient des petits dégâts, des petits larcins." (p.118) C'est un roman qui, par sa construction de narrateurs consécutifs adoptant un point de vue différent, dresse un terrible constat sur la société grecque de l'époque, sur l'injustice criante et perpétuelle, sur le déterminisme social qui ôte tout espoir de s'en sortir dès le plus jeune âge et qui contraint les jeunes enfants aux vols pour survivre, à la prostitution pour gagner un peu d'argent... Il parle aussi du doute qu'ont eu et qu'ont encore les habitants de Thessalonique sur la culpabilité d'Aristos. Aucun ne le voit en meurtrier -lui-même a nié- mais il fallait un coupable pour détourner l'attention.

    Thomas Korovinis use de divers degrés et styles de langage en fonction de ses narrateurs : le bourgeois ne parle pas du tout la même langue que Lolo le travesti. C'est un procédé que j'aime beaucoup qui permet de ne jamais s'ennuyer dans cette lecture, d'autant plus que certains chapitres se recoupent voire se répètent dans leurs témoignages. C'est un roman dense, qui mène parfois au bord de l'asphyxie, tant les propos sont durs à lire, il faut savoir reprendre son souffle entre deux phrases. C'est un roman fort qui ne peut laisser indifférent.

    Un ultime conseil après celui de le lire, c'est de bien lire la préface de Clara Nizzoli, la traductrice, qui explique le contexte de son travail mais aussi celui de la Grèce pendant les années évoquées. Utile pour ceux qui, comme moi, sont assez mauvais sur ce thème.

    Chez Belleville, c'est toujours un illustrateur de la même nationalité que l'auteur qui fait la couverture, ici, Stamatis Laskos.