Mapuche

Caryl Férey

Gallimard

  • Conseillé par
    27 juin 2012

    Caryl Férey aime situer ses intrigues dans des environnements marqués par les stigmates d'un passé de violence. Il s'agit souvent de pays dont l'histoire récente a vu une partie de la population se dresser contre l'autre, trop récente pour que les sentiments de haine et les désirs de vengeance aient eu le temps de s'estomper.

    Après la Nouvelle-Zélande (dans Haka et Utu) et l'Afrique du Sud (dans Zulu), il nous emmène avec son dernier roman, "Mapuche", en Argentine, où les plaies infligées pendant la dictature militaire instaurée après le coup d'état de 1976 n'ont pas encore cicatrisé.

    Dans le cadre du "Processus de réorganisation nationale" alors mis en place, une répression terrible avait été menée à l'encontre des sympathisants de gauche, des artistes, des intellectuels, et de leurs familles, alors considérés comme des terroristes.
    Tortures, internements abusifs (entre 1976 et 1983, on estime à 30 000 le nombre de personnes disparues suite à leur enlèvement par les sbires du pouvoir), exécutions et censure, telles furent les armes utilisées par ce régime sanglant pour couper court à toute contestation.

    L'un des personnages que Caryl Férey met en scène dans "Mapuche" fut l'une de ses victimes. Rubén, fils du poète Daniel Calderón, a connu les geôles de la dictature à l'âge de quinze ans. Libéré après des semaines de sévices, il a laissé derrière lui son père et sa sœur cadette, et ne s'en est jamais remis.
    Aujourd'hui cinquantenaire, il vit seul, rongé par ses démons, voué à un seul but : obtenir justice et réparation pour les martyres de la dictature et leurs familles.

    Jana représente quant à elle un autre épisode peu glorieux de l'histoire argentine...
    Cette jeune sculptrice d'origine indienne est issue de la tribu des Mapuche, peuple qui fut dépossédé de ses terres et dont des dizaines de milliers de membres furent sauvagement massacrés à la fin du XIXème siècle par les colons espagnols.

    Un enchaînement de circonstances liées au meurtre d'un travesti et à la disparition de la fille d'un riche industriel portègne va entraîner la rencontre de ces deux écorchés vifs...

    Il fallait s'y attendre, et ceux qui ont déjà "pratiqué" Caryl Férey ne pouvaient que le prévoir : "Mapuche" est un récit empreint de noirceur et de violence. Ceci dit, cet aspect du roman, qui trouve sa justification dans un contexte historique et social générateur de haine et de souffrance, n'occulte pas les qualités du roman de Caryl Férey, il forme simplement avec le reste (l'intrigue policière, la relation qui se noue entre Rubén et Jana...) un ensemble parfaitement homogène, au rythme admirablement mené.

    J'émettrai un seul petit bémol... J'ai eu à certains moments -certes furtifs- l'impression que le récit tournait à la démonstration comme si, à trop vouloir ancrer son histoire dans son contexte, l'auteur en rendait ses personnages et son intrigue prisonniers. Du coup, ils en acquièrent parfois un aspect un peu caricatural, l'auteur s'en servant comme éléments représentatifs du dit contexte, aux dépens de leur propre individualité.

    Mais cela ne doit surtout pas vous empêcher de lire "Mapuche", qui est avant tout un excellent roman...


  • Conseillé par
    24 juin 2012

    "Les Mexicains descendent des Aztèques, les Péruviens des Incas, les Colombiens des Mayas, les Argentins descendent du bateau."

    Caryl Férey, pour notre plus grand plaisir, a pris la bonne habitude de nous emmener dans des contrées lointaines.
    Après la Nouvelle-Zélande avec "Haka" et "Utu", l'Afrique du Sud avec "Zulu", nous voici en Argentine avec "Mapuche".

    Un Mapuche est un indien d'Amérique du Sud.
    Mapuche signifie "peuple de la Terre".
    Les indiens mapuches habitent le sud de la région andine entre le Chili et l'Argentine.

    Jana est mapuche, "fille d'un peuple sur lequel on avait tiré à vue dans la pampa".
    "Ecrasés militairement lors de la Grande Battue à travers la pampa comme des lapins à coups de Remington, livrés aux écoles religieuses ou comme esclaves."

    Elle est sculptrice dans un squat d'une ancienne gare.
    Jana sculpte des bouts de ferraille. De la récup'.
    En boucle, elle écoute Jesus Lizard, groupe mythique de "noise rock". De bon goût, ma foi.
    Elle a 28 ans et un look de guerrière. Elle garde près d'elle le couteau mapuche que lui a légué son arrière grand-mère.

    Ruben est détective privé. La quarantaine coquette.
    Son père, poète célèbre et sa petite soeur sont torturés.
    Ils vont mourir...presque devant ses yeux.
    Atroce !

    En pleine Coupe du monde de football. En 1978. Deux ans après le coup d'Etat de Videla.
    L'Argentine sera sacrée championne du monde.
    C'est Videla, chef de la junte militaire, qui remet la coupe au capitaine argentin.
    Les insouciants houras des supporters couvrent les horribles cris des suppliciés à deux pas du stade.

    Nous sommes à présent dans la nouvelle Argentine, celle d'après la dictature, celle d'après la crise.
    "Les banques et des multinationales avaient fait les poches du cadavre politique du pays..."
    Un cadavre encore chaud, brûlant.
    Les tortures, les meurtres des opposants et les disparitions d'enfants volés du Général Videla et de sa complice église catholique argentine.
    C'était il y a plus de 30 ans et pourtant...

    Jana et Ruben, ces deux blessés à vif, au passé ensanglanté, vont se retrouver mêlés à une sordide histoire.
    Normal nous sommes dans un thriller, brrrrr...
    "Ancêtres ou disparus, ils couraient tous les deux après la même chose : des fantômes."

    L'Histoire de l'Argentine.
    Toute l'Histoire de l'Argentine et ça va nous économiser au moins des tonnes et des tomes de livres d'Histoire assoupissants et prétentieux. (V'là déjà une bonne nouvelle !)

    Celle des conquistadors "qui avaient recherché en vain ces fabuleuses mines d'argent dont parlait la légende, et qui avaient donné le nom de cet eldorado dépressif : l'Argentine."

    Celle des Mères de la Place de Mai et des Abuelas.
    Celle des militaires sanguinaires.
    Celle des Vols nocturnes de la Mort où les "subversifs" endormis au Penthotal sont jetés d'avion en pleine mer.
    "Un mort, c'est un chagrin. Un million, une information."
    Celle d'une traite église.
    "Iglesia ! Bassura ! Vos sos la dictatura !" (je vous laisse traduire)

    Férey excelle à nous raconter des histoires dans l'Histoire.
    L'écriture maîtrisée et efficace de Férey (trois années d'écriture non-stop) reste toujours émouvante et poignante.
    Certes certains passages du livre sont difficilement supportables.
    Mais cette littérature là sait nous montrer les hommes tels qu'ils sont...parfois, trop souvent : cruels et bêtes, sadiques et pervers, aveuglés et soumis !

    "Le soleil grimpait dans le ciel bleu roi quand Jana quitta l'escalier, ses sacs à l'épaule. La Ford attendait devant la grille. Elle referma la porte coulissante sans écouter les supplices du prêtre. La Mapuche huma l'air du jardin des sculptures. Une odeur de gibier flottait quelque part, entre plaines et hautes herbes : c'était l'heure de la chasse..."

    Jana la mapuche est une guerrière sur la piste de la vengeance.
    Suivez-la bien...

    Terrible !
    Remarquable !
    Impressionnant !

    "Comme dans "Haka" et "Utu", une deuxième partie se profile (qui n'est pas une suite) : elle se déroulera au Chili, plus spécifiquement autour des Mapuches et des lois anti-terroristes dont ils font l'objet. Mais c'est une autre histoire..." annonce Caryl Férey.

    Caryl Férey devient, au fil de ses livres, un véritable écrivain qui compte aujourd'hui...comme on dit d'un auteur de talent !