Le bruit de tes pas

Valentina D'Urbano

Philippe Rey

  • 18 octobre 2013

    La Forteresse, banlieue ouest de la ville, la colline où personne ne s'aventure, le ghetto des fauves.

    "C'est peut-être le milieu qui nous avait produits. On avait peut-être ça dans le sang. C'étaient peut-être les gens qu'on fréquentait, l'ennui, l'absence de buts. La certitude de ne pas pouvoir évoluer, la prise de conscience de l'inéluctable. Dehors, les années se succédaient, et le monde changeait. Au fond de nous-mêmes, on restait figés. On n'avait pas de raison de vivre, on n'était pas capables d'en trouver une. On vivait, un point c'est tout."

    Le délabrement, c'est sa faute...voilà le motif invoqué pour justifier cette exclusion de la société d'Alfredo et Beatrice. Lui est élevé par un père brutal et alcoolique, elle évolue dans une famille pauvre mais unie. Ils sont inséparables, jumeaux pour certains.

    Roman semblable à D'Acier de Silvia Avallone, le roman décrit une jeunesse pauvre et paumée. Le Bruit de tes pas décrit le vide moral d'un pays désemparé. A l'après-fascisme succède le terrorisme des années de plomb en Italie. Berlusconi arrive pour effacer ce poids douloureux du passé en brandissant l'idée mensongère d'un miracle économique.

    Une vie heureuse est possible et les velléités de Beatrice en témoignent dans ce désir de fuite, d'exil. Les jeunes italiens ont envie de croire en une existence de jouissance. Berlusconi vend du rêve libéral, la sous-culture berlusconienne élimine dès lors l'idée d'effort et du sacrifice.

    Pour Alfredo, il est licite de croire en la facilité. Sa fuite est différente, elle s'accomplit ans les effluves de la drogue.

    Roman à la troisième personne, la voix n'est jamais totalement objective. L'auteur semble lutter avec ses personnages. Valentina D'Urbano raconte son monde de la manière la plus ample qui soit.

    Les publications littéraires italiennes récentes redonnent force à la littérature et au pouvoir des mots. Dans l'atmosphère sombre, de délitement ce roman dit beaucoup sur l'époque que la société italienne traverse.

    Un roman d'une grande force publié chez Philippe Rey et traduit par Nathalie Bauer.


  • Conseillé par
    14 septembre 2013

    Si ce premier roman n'est pas d'une originalité folle, je l'ai trouvé "habité" par deux personnages qui marquent, Beatrice et Alfredo, à la fois jumeaux, c'est ainsi qu'on les nomme, et pourtant complètement opposés par leur caractère et leur manière de gérer le fait de vivre dans un lieu aussi sordide. Le roman s'ouvre sur l'enterrement d'Alfredo qui met en colère Beatrice. Dans cette première scène, les deux personnages sont campés: tandis que l'agressive -mais touchante car entière- Beatrice se bat pour sortir de là, le doux Alfredo a sombré. Dans ce premier roman, l'auteur a trouvé une belle voix et une force qui fait de cette lecture une réussite.


  • Conseillé par
    9 septembre 2013

    Les bruits du trépas.

    Premier roman de cette jeune auteure italienne, une saga se déroulant sur une quinzaine d'années dans l'Italie contemporaine. Une banlieue qui pourrait se trouver n'importe où dans notre monde industriel dit "civilisé" avec son lot de plus en plus important de laissés pour compte.
    Une femme Béatrice assiste à l’enterrement d'Alfredo, "son jumeau", l'éloge funèbre dithyrambique qu'elle entend la rend folle. Non il n'était pas bon, personne ne l'aimait, et elle est bien placée pour le savoir. Leur relation fut fusionnelle !

    Revenons des années plus tôt, dans ce quartier sinistre, elle venant d'un milieu pauvre mais soudé, lui vivant avec ses deux frères sous la férule et les coups d'un père alcoolique et violent. Leur première rencontre fut sanglante, Alfredo venait de se faire tabasser par son père avec une violence inouïe ! L'amitié entre deux enfants, leur complicité les amènera à ne plus se quitter, malgré une période où Béa fut jalouse de l'amour que portait ses parents à celui qu'elle considérait comme un envahisseur. Si l'on voit l'un, on voit l'autre ! Les années passent, l'innocence de l'enfance disparaît avec l'âge et les sentiments nouveaux qui apparaissent entre filles et garçons. Cela n'épargnera ni Béa, ni Alfredo, ni les autres protagonistes de ce livre en particulier Arianna, figure de jeune fille libérée multipliant les relations avec les garçons des environs, mais qui sera elle aussi victime de ses sentiments.
    Pour Béa et aussi pour les autres la seule solution est de quitter le quartier, mais financièrement le peuvent-t-ils....? Hélas le plus souvent la réponse est non ! Et partout ailleurs ils sont rejetés, leur lieu de naissance et d'habitation leur ferment toutes les portes. "La Forteresse" porte bien son nom et est un piège où il est difficile d'entrer et presque impossible de sortir ! Ou alors mort.
    Béatrice (Béa) a été habituée à se battre dans un environnement dur, elle se battra aussi pour Alfredo, mue par des sentiments étranges d'amour et de haine.
    Alfredo aime beaucoup, beaucoup trop, même son père, chose que Béa ne comprend pas. Ses souffrances de jeunesse ont-elles eu un rôle dans sa déchéance ? Triste vie !
    Leurs familles respectives : violente avec un père veuf, alcoolique et fou furieux, le chagrin n'excusant pas tout pour Alfredo et ses deux frères enfants martyrs ! Pauvre, mais équilibrée, pleine d'amour et de compassion du côté de Béa. Les parents de cette dernière aideront Alfredo de leur mieux et lui éviteront sûrement une mort violente sous les coups de son géniteur.
    Marta amie croisée pendant un séjour de vacances, elles s'entendent bien malgré leurs différences de conditions, d'autres connaissances aussi dans "La Forteresse", tous ses jeunes traînent ensemble leur mal-être! Avec des conséquences désastreuses pour certains.
    Un environnement pas très poétique, le quartier est "La Forteresse", l'église "La Pagode" tout est gris couleur du béton omniprésent. L'ennui, la misère, l'alcool et la drogue sont le quotidien de la jeunesse.
    Un livre coup de poings au propre comme au figuré avec en filigrane cette question : comment un enfant peut-il s’épanouir dans ces circonstances entre tristesse, pauvreté et tentations en tous genres ? Les plus faibles hélas n'y résistent pas et Alfredo fut de ceux-là. Béa a eu pour elle une famille ; chose qu'Alfredo n'eut malheureusement pas.
    Un très grand roman sur la misère du monde moderne.