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Le , École des filles d'Huelgoat

Courage, fuyons !

Cette injonction renvoie impitoyablement au titre d’un film d’Yves Robert, où un personnage défini comme lâche est poussé par le contexte historique (mai 68) à se faire passer pour un aventurier. L’expression est beaucoup plus ancienne, et vient de la comédie. Dérision facile, dans cette pièce d’un certain P.-L. Lebas, Bonheur et Vertu, où un personnage profère : « Allons, du courage, fuyons : c’est un conseil que tu ne recevras pas souvent de moi. » C’était en 1799. La formule amusa ; on la retrouve au théâtre, dans le feuilleton du journal Le Gaulois, en 1890 ; en 1979, le film, grâce à Jean Rochefort qui incarne la fuite honteuse avec invocation au courage, en fait une scie qu’on retrouve dans des raps, en politique…

Tout y repose sur un lieu commun : la fuite, au combat, est le contraire du courage. D’autre part, le thème du peureux arrogant est vieux comme la comédie elle-même. Cependant, il y a courage et courage, et l’on peut fuir à bon escient. Nous étions pourtant prévenus. Alfred Jarry notait que le courage simulait l’absence de danger : « le courage peut être acquis 1, en éloignant le danger, 2, en éloignant la notion de danger. » Donc, s’éloigner du danger ou de la conscience du danger, même courage. C.q.f.d.

De son côté, le philosophe Alain (Alain Chartier), courageux pacifiste, fait dans ses Cahiers une judicieuse remarque : « Le courage nourrit les guerres, mais c’est la peur qui les fait naître. » Voilà pour le courage des combats, car il y a d’autres courages. Pour la fuite, on avait oublié un détail : tout dépend de ce que l’on fuit, et l’on peut fuir le mal, la catastrophe, la douleur, l’insupportable, sans que le courage, le cœur ait à en souffrir. Victor Hugo, à propos de l’évasion d’un forçat : « il y a une étoile et de l’éclair dans la mystérieuse lueur de la fuite » (Les Misérables). Déjà, le père Corneille dans Horace : « La fuite est glorieuse en cette occasion. »

Trois ans avant le film qui remettait à la mode la formule ringarde qui fustigeait la fuite, cette lâcheté, un neurologue et psychologue, Henri Laborit, avait publié l’ « Éloge de la fuite », seule arme humaine efficace contre les situations de désespoir, d’horreur, dont le monde actuel n’est pas avare. « Fuir ! là-bas fuir !… » clamait le poète absolu, Mallarmé, et c’est le cri universel de l’art, de la création, du besoin de s’envoler hors de l’ici-bas, de changer la vie… Retournant la sotte dérision de la comédie bourgeoise, il nous faut, pour fuir l’insupportable, prendre le courage à deux mains, et ne pas le lâcher.

« Courage, sœurs humaines, frères humains, fuyons ensemble, libérons-nous ! »

Lexicographe, maître d’œuvre du Robert, Alain Rey est l’auteur de nombreux ouvrages et chroniqueur célèbre sur France Inter.

Yann Queffélec a publié une quarantaine de romans. Il obtient le Prix Goncourt en 1985. En 2017, France 3 lui consacre un documentaire : “Yann Queffélec, l’océan, les mots”.

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